Au détour d’un rayon de la bibliothèque

Assise sur la chaise en bois massif, devant une demi-table accrochée à un mur de livres, je suis en pleine lecture d’un ouvrage à l’abri de tout œil curieux. L’ouvrage en question, je sais l’avoir lu et relu à plusieurs reprises, mais en tant qu’étudiante studieuse qui se respecte, je me dois de l’étudier à nouveau. Le cours de métamorphose n’était pas ma matière préférée et encore moins sans le professeur McGonagall, mais il n’en reste pas moins intéressant. Et puis, il faut avouer que j’ai tendance à tout trouver intéressant… Sauf peut-être la divination qui m’insupporte, mais passons.

Tournant les pages à une vitesse adaptée à ma lecture, je ne prête pas attention aux autres personnes qui vont et viennent non loin de moi. La plupart du temps, depuis mon arrivée dans cette temporalité, je suis devenue solitaire. Si j’ai rapidement retrouvé quelques personnes que je connaissais de mon époque, comme Luna, je n’ai pas encore vu Ron ou Harry, enfin ayant mon âge tout du moins. Ils me manquent ces deux imbéciles, mais jamais, ô grand jamais, je ne leur avouerais cela. Non, à la place, j’ai remarqué un autre jeune homme de mon époque, mais j’ai pris grand soin de l’éviter jusqu’à présent : Draco Malfoy. Il semble toujours autant sombre et perturbé, mais en même temps, l’idée qu’il puisse être débarrassé de cette ombre qui plane sur lui me laisse à penser qu’il pourrait peut-être trouver la paix ici.

La fin de mon temps libre approche doucement, mais je sais que je vais devoir retrouver le cours de potions qui se trouve au sous-sol avec d’autres élèves de sixième année. Replaçant une mèche de cheveux dans mon chignon de fortune, je me lève en trombe de ma chaise et me retourne vivement en sentant la présence de quelqu’un derrière moi. Dans un mauvais mouvement, je fais tomber le livre par terre avec un bruit sourd et en me baissant, je défais entièrement mon chignon, laissant mes cheveux tombés sur mes épaules, devant mes yeux et mon visage.

Me baissant à la hâte, je ne prends pas le temps de regarder la personne qui était derrière moi, plus occupée à ramasser le pauvre livre qui est tombé. J’ai une tendance à la surprotection des objets qui sont parfois bels et bien vivants dans le monde magique et ce n’est que lorsque je vois la main de cet élève qui se pose en même temps que la mienne sur la couverture froide du livre que je reconnais cette chevalière.

Plus rapide que moi, il attrape le livre et mon souffle s’arrête alors que je me redresse lentement pour enfin croiser son regard alors que je repousse mes mèches de cheveux indomptables derrière mes épaules. Ses cheveux toujours d’un blanc immaculé sont reconnaissables entre mille, ses traits creusés par la noirceur de son âme me sautent alors aux yeux également, mais le regard qu’il pose sur moi n’est pas déchiffrable.  J’avais tant de fois fait en sorte de l’éviter et tant de fois esquiver les moments où nous pourrions être aux mêmes endroits que j’avais cette impression d’avoir lamentablement échouer. Et je n’aime pas échouer dans mes plans. Renfrognée, honteuse et légèrement mal à l’aise, je baisse les yeux la première en regardant le livre qu’il tient entre ses mains avant de prendre la parole la première :

« Est-ce que tu comptes me le rendre Draco ? »

La sensation étrange qui me traversa à l’instant où j’ai reconnu cette chevalière et à l’instant où j’ai croisé son regard me semble étrange et indéchiffrable. J’ai une boule qui se forme dans ma gorge tandis que mon estomac semble se tordre dans tous les sens afin de me faire comprendre quelque chose que je ne parviens pas à expliquer pour l’instant.

À la place, je tente de garder contenance. Je m’attends à tout venant de la part de Draco. Il m’a longtemps pris en grippe de par mon sang et ces derniers temps, le fait d’être seule ne m’aide pas vraiment à me sentir en position de force. Si je sais que je ne me laisserai pas faire, je sais également qu’il est sans doute encore sous l’influence des Serpentard et autres membres de sa famille qui étaient et sont peut-être encore au service du mage noir.  Mon regard se perd quelques secondes dans le sien sans que je parvienne à comprendre la raison de sa présence et encore moins ses intentions. Je baisse les yeux, prise par cette sensation étrange qui m’envahit chaque fois que je me retrouve seule avec lui. Et depuis mon arrivée, c’est la première fois que je me retrouve seule avec lui et cela me perturbe.

Sa remarque m’arracherait presque un sourire alors que je relève les yeux vers lui tout en attrapant le fameux livre qu’il me tend, mais son geste me fige presque aussitôt. Il attrape une mèche de mes cheveux et la replace alors que je n’ose plus bouger, ses doigts frôlant mon oreille, mon regard figeait dans le sien, mon cœur battant à tout rompre, ma bouche entrouverte qui ne laisse plus passer le moindre air. Il m’aurait lancé un sortilège de paralysie, cela aurait probablement eu le même effet. Je soupire longuement alors qu’une part de moi-même le supplie silencieusement de garder ce contact. Pourquoi je pense ainsi en la présence de Draco ? À moins que cela ne soit pas lui à proprement parler, mais plutôt le contact en lui-même. Oui, c’est surement cela… Cela doit être cela et non autre chose. Je tente de me convaincre d’un fait qui est pourtant suffisamment évident pour être pensé et même réfléchit. Draco a eu un geste envers moi et je l’ai apprécié. Mais se mentir à soi-même est bien plus facile que d’accepter la vérité. À la place, je déglutis avec énormément de difficultés. La boule dans ma gorge m’empêche de respirer correctement. Et tout en restant parfaitement immobile, je souffle quelques mots :

« Avec toi, je m’attends à tout, Draco… »

Pourquoi est-ce que je m’obstine à prononcer son prénom avec insistance et obligeance. Il termine son geste en revenant sur ma joue et je suis totalement interdite à mes mouvements. Je ne parviens pas à bouger. En réalité, je me retiens de toutes mes forces de pencher la tête afin de prolonger ce contact ou même de fermer les yeux pour le savourer. Non, je garde mon visage droit et mes yeux plantés dans les siens qui m’aimante comme une ancre. Je me perds dans son regard que je ne comprends pas et mon incompréhension pourrait me mettre hors de moi, mais elle me met plutôt dans une intense curiosité que je rêve d’explorer. Pourquoi est-ce que je rêve d’explorer les secrets de Draco ? Il m’a lancé un sortilège, il ne peut pas en être autrement… Ou bien est-ce la solitude qui me faisait penser et réfléchir ainsi ?

Alors qu’il recule, je fais de même, comme pour reprendre contenance et prestance. Je baisse un instant les yeux et me retrouve bloquée par la petite table derrière moi. Je ne peux plus mettre davantage de distance entre nous. Ma mâchoire se serre lorsqu’il reprend la parole. Un instant, j’imagine que c’est parce qu’il évoque Harry et Ron qui me manquent malgré tout, mais je me rends également compte que c’est parce qu’il démarre une conversation avec moi et que cela n’est pratiquement jamais arrivé depuis que l’on se connait. En tout cas, ce n’est jamais arrivé sans qu’il y ait une insulte.

Je me racle la gorge et tente de réponse sans craquer ou même sans montrer une quelconque faiblesse, ce qui est malgré tout difficile pour moi parce que la situation ne me rend pas vraiment à l’aise :

« Je suis souvent seule à la bibliothèque, ce n’est pas quelque chose de nouveau. Quant à Harry et Ron, je ne les ai pas revus depuis mon arrivée… Enfin pas dans nos âges. J’ai bien croisé un Harry qui était plus âgé, mais c’est tout… Et pour ta gouverne, je n’ai pas de petit ami… Je ne sais pas ce qui t’a fait penser cela. »

Je hausse un peu les épaules comme pour me redonner de la confiance. J’aurais tout à fait pu ajouter plus de sarcasmes dans mes paroles, mais à la place, je tente de poursuivre le dialogue qu’il a instauré :

« Et toi ? Tu as retrouvé tes acolytes ? Ils ne te suivent pas partout comme des vrais petits toutous d’habitude ? »

Peut-être était-ce le sarcasme de trop, mais je ne veux pas qu’il pense qu’il peut m’avoir par les sentiments. Sachant que je sais d’avance que les siens sont perturbés par des années d’endoctrinement sur la façon de penser. Je sais également que Draco m’a toujours détesté pour ma nature de née-moldue alors pourquoi est-ce que cela changerait maintenant que nous sommes coincés dans cette temporalité ?

Malgré une distance relative, j’ai du mal à respirer et je m’en rends bien compte. Tout comme je me rends compte que c’est sa présence qui me fait un tel effet, mais je n’arrive pas à mettre davantage d’adjectif sur ce ressenti. Est-ce qu’il est positif ou non ? Est-ce qu’il est malsain ? Est-ce que je suis en train de devenir folle. Pour autant le sarcasme qu’il met en place ainsi que la conversation emplie de pics me convienne bien… Cela me permet de garder contenance quant à mon propre malaise.

« Et bien tout le monde se trompe… mais bon cela ne serait pas la première fois que les gens sont tout simplement ignorants… N’est-ce pas ? »

Je me sens plus enhardie, au point même de lui retourner des questions et des pics. Cela me permet en un sens de me remettre de mon cœur qui s’accélère comme un vif d’or alors qu’il remet simplement en place ses cheveux… Quel geste aussi anodin, peut me rendre aussi étrangement satisfaite. Sa sommation à me taire me ferait presque sursauter mais c’est lorsqu’il bondit sur moi, glissant ses doigts sur ma gorge que je me recule sans pouvoir le faire véritablement, gênée par la table. Je me penche malgré tout en arrière mais je n’échappe pas à son emprise et sa main se serre un peu plus tandis que mon corps se retrouve collé au sien. Je déglutis mais ne perds pas mon sang-froid pour autant. Conservant mon regard ferme dans le sien, je lui réponds avec autant d’aplomb que je peux :

« Et tu ne m’as jamais insulté toi peut-être… pendant des années… Tu en as même oublié mon prénom… »

Je soupire mais je me radoucit à ses dernières paroles et me montre plus résignée, plus ouverte d’esprit même s’il me maintient toujours dans une position de faiblesse qui ne me plait pas… Enfin pas vraiment… J’ai pourtant un estomac et un cœur qui sont en train de faire des bonds dans mon corps :

« Prouves-le alors… Prouves que tu es capable de changer… Draco ! »

Son prénom est prononcé dans un souffle alors que je me sens comme hypnotisée par ses yeux et son corps contre le mien. Comment peut-il me faire un tel effet ?